Les fausses oppositions pédagogiques



L'opposition entre pédagogie traditionnelle et éducation nouvelle a conduit à construire un certain nombre d'oppositions discutables.



Programme objectif/Sens subjectif


L'existence d'un programme objectif ne doit pas être nécessairement opposé au sens subjectif que donne l'élève aux apprentissages. En effet, il ne s'agit pas seulement pour l'enseignant de donner du sens au savoir, mais d'aider les élèves à apprendre à construire leur propre sens aux savoirs qui leurs sont dispensés.


Un apprenant peut trouver du sens dans le contenu même du savoir, dans les enjeux que ce savoir a pour lui ou encore parce qu'il lui donne une occasion d'améliorer ses stratégies d'apprentissage.


Intérêt/effort


Les tenants des pédagogies traditionnelles ont tendance à opposer l'intérêt et l'effort. L'élève qui ne s’investit dans une matière que parce que cela l’intéresse serait incapable d'apprendre le goût de l'effort.

John Dewey, dans un article intitulé « L’intérêt et l'effort », a au contraire mis en avant qu'il n'y avait pas lieu d'opposer les deux. En effet, celui qui s’investit dans une activité qui l’intéresse est d'autant plus capable d'accepter de faire des efforts pour progresser et de se soumettre à une discipline qu'il ne ressent pas comme une contrainte extérieure, mais comme une règle qu'il a choisi de manière autonome.


Travail/joie/plaisir


Plusieurs pédagogues, comme Herbert Spencer, ont fait du jeu et du plaisir le moteur de l'apprentissage de l'enfant. Celui-ci ne serait prêt à entrer dans les apprentissages que si ceux-ci sont rendus amusants. La finalité de l'action humaine serait en effet le plaisir.


Au contraire, des pédagogues comme Maria Montessori ou Celestin Freinet ont avancé que ce n'est pas le jeu qui est naturel à l'enfant, mais le travail. L'enfant est prêt à s'engager dans la tâche lorsque l'activité qui lui est proposé correspond à ses besoins de développement. L'activité qui permet à l'individu de développer ses capacités, c'est cela que l'on doit appeler le travail.


Le plaisir n'est pas la finalité de l'activité, elle n'est que l'effet d'une activité créatrice, à savoir le travail. Le fait de ludifier les apprentissages laisse au contraire entendre à l'élève que ceux-ci ne vaudraient la peine que dans la mesure où ils sont amusants.


Au contraire, l'enfant peut éprouver de la joie à apprendre parce que justement cet apprentissage lui permet de se comprendre et de comprendre le monde dans lequel il vit. Ce désir d'apprendre correspond à une pulsion vitale chez l'enfant. Les conditions même de la croissance de l'être humain implique des apprentissages.


Comprendre/Mémoriser/Raisonner


On a souvent opposé mémoriser et comprendre. « Plutôt une tête bien faîte, que bien pleine » (Montaigne). Pourtant les travaux d'Alain Lieury en psychologie cognitive ont mis en lumière dans le cas de la mémoire sémantique le lien entre compréhension et mémorisation.


L'on mémorise d'autant mieux que l'on a bien compris. Plus l'apprentissage s'appuie sur la compréhension, qui met en lien l'information et l'organise, mieux les informations sont retenues. Plus la mémoire sémantique est étoffée, plus le sujet est en capacité d'effectuer des inférences et des analogies qui peuvent être utilisées pour transférer les connaissances dans le cadre d'une résolution de problème.


Apprendre à apprendre/programme de connaissances


Il s'agit également d'une opposition factice. En effet, les experts dans un domaine ne possèdent pas des stratégies d'apprentissage qui sont valables dans tous les domaines. Un joueur d'échec peut effectuer sans se tromper des raisonnements dans son jeu de prédilection qu'il ne parvient pas à transférer en mathématiques par exemple. Les stratégies d'apprentissage d'un expert ne sont pas détachables des connaissances qu'il possède dans sa mémoire à long terme. Elles ne sont pas stockées sous la forme de règles formelles qui pourraient s'appliquer indépendamment du contenu.


Méthode expositive/Activité intellectuelle


Les méthodes d'éducation nouvelle se sont souvent opposées à la méthode expositive et magistrale. Celle-ci serait transmitive et ne favoriserait pas la construction de la connaissance par l'apprenant.


A l'inverse, il est possible d'objecter aux méthodes de l'éducation nouvelle de construire artificiellement des démarches de recherche. En effet, même les scientifiques n'ont pas appris et n'apprennent pas l'essentiel de leurs connaissances en refaisant les expériences. Ils apprennent bon nombre de connaissances en lisant des textes scientifiques ou en écoutant des collègues leurs exposer les résultats de leurs recherches.


En outre, l'élève peut être en activité sans avoir compris les finalités cognitives de l'activité mis en place par l'enseignant.


En réalité, le plus important réside dans le fait que l'apprenant sache être actif mentalement, même lorsque le dispositif dans lequel il se trouve le contraint à la passivité. Il s'agit d'enseigner à l'élève les capacités à résister à la passivité intellectuelle.


Pour cela, il s'agit de pratiquer un enseignement métacognitif qui explicite aux élèves les stratégies mentales par lesquelles l'élève est actif même dans le cadre d'un cours magistral : organisation de l'information, inférences, objections, production de nouvelles idées…


Visée encyclopédique/épanouissement personnel


La visée d'un savoir encyclopédique est considérée bien souvent comme un objectif dépassé, relevant au mieux de l'idéal humaniste de la Renaissance. Mais là encore, il est possible de se demander si un rapport « global » (E. Morin) à la connaissance ne constitue pas une dimension du développement et de l'épanouissement personnel. En effet, face à l'émiettement du savoir postmoderne du savoir, le sujet peut se construire par un travail de reconstruction de l'unité des connaissances qu'il acquiert tout au long de son existence.


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Animé par Irène Pereira

 

 

 

Professeur des Universités.

Philosophie et éthique

Sciences de l'éducation.