LE BONHEUR

 

 

Sujet : Etudier conduit-il au bonheur ?

 

I- Éléments de problématisation :

 

1) Savoir et bonheur :

 

- La recherche du savoir est-elle un obstacle au bonheur ou au contraire une voie d'accès au bonheur ?

 

La tradition judeo-chrétienne avec le péché originel – Adam et Eve mangeant le fruit défendu de l'arbre de la connaissance du bien et du mal – semble établir un lien entre innocence et bonheur. Au moment où Adam et Eve goûtent le fruit défendu, ils accèdent à la conscience morale et à la connaissance de leur faute qui se traduit par le sentiment de culpabilité, la honte et le remord.

 

A l'inverse, la tradition stoïcienne (mais également épicurienne) fonde la recherche du bonheur sur une physique. La connaissance de la nature devient la condition de possibilité de l'accès au bonheur. Le sage est celui qui connaît la physique et cette science lui permet d'échapper aux vicissitudes du hasard (étymologie de bonheur : bonne fortune).

 

2) Bonheur et bien-être : Le système scolaire doit-il se soucier du bien-être des élèves ?

 

Une problématique plus contemporaine tend à s'imposer concernant le rapport entre études et bonheur, c'est celle du bien-être. Elle suppose tout d'abord une réduction du bonheur au bien-être. Cette seconde notion trouve une double inscription. La première est liée d'une part aux problématiques de santé publique et d'autre part aux techniques de développement personnel qui visent l'épanouissement du sujet par un bien-être à la fois psychique et physique. La seconde est celle de l'économie du bien-être qui s'inscrit dans le cadre théorique de l'utilitarisme de l'économie libérale. Il s'agit de déterminer les conditions objectives du bien-être permettant une optimisation économique (calcul des peines et des plaisirs). A cela s'ajoute, le courant de l'économie du bonheur qui prend en compte le ressenti subjectif des acteurs dans l'élaboration des indicateurs.

Le bien-être devient, ainsi dans les évaluations internationales des systèmes scolaires, un critère : il s'agit ainsi de favoriser le bien-être des élèves contre les contextes qui conduisent au stress et aux phobies scolaires. Le mal-être scolaire est en effet alors considéré comme un facteur qui contribue à l'échec scolaire.

 

II- Textes :

 

Texte 1 :

Un esprit sain dans un corps sain , telle est la brève, mais complète, définition du bonheur dans ce monde. L'homme qui possède ces deux avantages n'a plus grand'chose à désirer. Celui auquel manque l'un ou l'autre ne saurait guère profiter de n'importe quel autre bien. Le bonheur ou le malheur de l'homme est en grande partie son oeuvre. Celui dont l'esprit ne sait pas se diriger avec sagesse ne suivra jamais le droit chemin ; et celui dont le corps est faible et délabré, sera incapable d'y marcher. Il y a, je l'avoue, des gens dont le corps et l'esprit sont naturellement si vigoureux, si bien constitués, qu'ils n'ont pas grand besoin du secours d'autrui. Dès le berceau, par la seule force de leur génie naturel, ils sont portés à tout ce qui est excellent ; par le seul privilège de leur heureuse organisation, ils sont en état de faire merveille. Mais les exemples de ce genre sont rares ; et je crois pouvoir dire que les neuf dixièmes des hommes que nous connaissons, sont ce qu'ils sont, bons ou mauvais, utiles ou nuisibles, par l'effet de leur éducation.

John Locke, Quelques pensées sur l'éducation (1693)

 

Remarques :

John Locke commence par rappeler la citation de Juvenal dont on fait souvent l'idéal de l'éducation humaniste telle qu'elle se traduit par exemple dans Le Gargantua de Rabelais : développer à la fois les capacités physiques et intellectuelles de l'élève.

La particularité de John Locke est ici de faire de cette formule une définition du bonheur. Le bonheur pouvant en effet être défini comme un état de plénitude à la fois du corps et de l'esprit. Locke est ici proche de l'idéal eudémoniste antique qui fait du bonheur le souverain bien et qui considère comme possible pour l'être humain d'en maîtriser les ressorts.

La fin du texte est caractéristique de ce qui est considéré comme la conception empiriste en éducation et qui trouve sa formulation la plus célèbre sous la plume d'Hélvetius : « L'éducation nous fait ce que nous sommes ». Pour l'essentiel, l'être humain est le produit de son éducation (acquis) : l'esprit est donc une table rase (tabula rasa). Sa moralité et son bonheur en sont donc fortement dépendantes.

Marx dans Les Thèses sur Feuerbach revient sur cette conception en soulignant l'aporie qui lui est inhérente : « La doctrine matérialiste qui veut que les hommes soient des produits des circonstances et de l'éducation, que, par conséquent, des hommes transformés soient des produits d'autres circonstances et d'une éducation modifiée, oublie que ce sont précisément les hommes qui transforment les circonstances et que l'éducateur a lui-même besoin d'être éduqué » (Thèse III). Il en vient ainsi à relativiser le pouvoir de transformation qui serait inhérent à l'éducation : il ne peut pas y avoir de transformation du soi individuelle sans transformation des structures sociales.

On retrouve au XXe siècle dans les théories de l'apprentissage behavioristes, la croyance en une toute puissance de l'environnement avec le recours au conditionnement, aux renforcements négatifs et positifs.

Dans ses pensées sur l'éducation, John Locke discute à plusieurs reprises de la place des châtiments et des récompenses dans l'éducation. Il s'agit selon lui de favoriser le plaisir d'apprendre et d'user avec parcimonie de châtiments et de punitions .

 

 

Texte 2 :

Votre lettre m’a effrayée. Si vous persistez à avoir pour principal objectif de connaître toutes les sensations possibles – car, comme état d’esprit passager, c’est normal à votre âge – vous n’irez pas loin. J’aimais bien mieux quand vous disiez aspirer à prendre contact avec la vie réelle. Vous croyez peut-être que c’est la même chose; en fait, c’est juste le contraire. Il y a des gens qui n’ont vécu que de sensations et pour les sensations; André Gide en est un exemple. Ils sont en réalité les dupes de la vie, et, comme ils le sentent confusément, ils tombent toujours dans une profonde tristesse où il ne leur reste d’autre ressource que de s’étourdir en se mettant misérablement à eux-mêmes. Car la réalité de la vie, ce n’est pas la sensation, c’est l’activité, j’entends l’activité et dans la pensée et dans l’action. Ceux qui vivent de sensations ne sont, matériellement et moralement, que des parasites par rapport aux hommes travailleurs et créateurs, qui seuls sont des hommes. J’ajoute que ces derniers, qui ne recherchent pas les sensations, en reçoivent néanmoins de bien plus vives, plus profondes, moins artificielles et plus vraies que ceux qui les recherchent. Enfin la recherche de la sensation implique un égoïsme qui me fait horreur, en ce qui me concerne. Elle n’empêche évidemment pas d’aimer, mais elle amène à considérer les êtres aimés comme de simples occasions de jouir ou de souffrir, et à oublier complètement qu’ils existent par eux-mêmes. On vit au milieu des fantômes. On rêve au lieu de vivre.

Simone Weil, « Lettre à une élève » (1934) , in La condition ouvrière.



Remarques :

Simone Weil entretient une correspondance avec une de ses anciennes élèves à qui elle a enseigné la philosophie au lycée. La tonalité de la lettre reste celle d'une relation éducative. Simone Weil oppose deux conceptions du bonheur. L'une des cibles nommée est ici André Gide qui développe dans son ouvrage Les nourritures terrestres (1897), un rapport hédoniste au monde dans un discours adressé fictivement à un jeune homme, Nathanaël.

La conception hédoniste du bonheur consiste à le définir comme la recherche de sensations de plaisir. En définissant, ainsi le bonheur, l'être humain se trouve réduit à un consommateur passif. Il est entraîné dans une recherche insatiable de sensations fortes, qui peuvent lui être fournies sous la forme de biens de consommation.

Mais il ne peut s'agir pour Simone Weil que d'une illusion. La sensation rend pour un instant l'existence agréable, mais elle ne transforme pas la réalité de cette existence. C'est ce que produisent l'alcool ou les drogues en général. La recherche de sensations conduit à un rapport égocentrique à l'existence : autrui ne peut pas être appréhendé comme un sujet égal, mais uniquement comme un objet de jouissance.

A cette conception du bonheur, Simone Weil en oppose une autre. Le bonheur n'est pas un état éphémère de plaisir, mais il s'exprime dans une activité créative qui transforme la réalité. A l'anthropologie utilitariste, Simone Weil oppose celle développée par les théoriciens socialistes (comme Proudhon ou Marx) : le travail est créateur. Le plaisir n'est pas refusé, mais il n'est que l'effet et non la cause finale de l'action.

On peut ici rapprocher la thèse de Simone Weil de la distinction conceptuelle qu'effectue Henri Bergson entre le plaisir et la joie dans L'évolution créatrice. La vie pour lui n'est pas orientée vers la recherche du plaisir, mais elle est création d'imprévisible nouveauté et celle-ci se manifeste par la joie.



Focus : Le bien-être scolaire.

 

a) Bibliographie :

Favoriser le bien-être des élèves, condition de la réussite éducative, Centre d'analyse stratégique, Note de Janvier 2013, n°313.

Disponible sur :

http://web.ac-toulouse.fr/automne_modules_files/pDocs/public/r21653_61_2013-01-10-bienetredeseleves-na313-ok.pdf

b) Documentaires :

Stress scolaire (Arte 2013: documentaire avec des interventions entre autre de François Dubet, Philippe Mérieu et Christian Laval): https://www.youtube.com/watch?v=VYn4OtYvhos

Harcèlement à l'école (France 5, 2013): https://www.youtube.com/watch?v=jCy9d5gMpQA

c) Support pédagogique : Campagne contre le harcèlement scolaire

http://www.agircontreleharcelementalecole.gouv.fr/

 









 

 

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Animé par Irène Pereira

 

 

 

Professeur des Universités.

Philosophie et éthique

Sciences de l'éducation.