LA TECHNIQUE

 

Sujet : Les nouvelles technologies de l'information et de la communication peuvent bouleverser positivement les conditions des apprentissages ?

 

Eléments de problématisation :

 

Les nouvelles technologies sont en elles en train de nous rendre plus intelligents ?

 

L'éducation peut-être caractérisée comme un processus qui transforme l'individu positivement. Le rapport de l'être humain à la technique peut être double. Il peut attendre tout d'abord qu'elle ait un effet positif sur son existence : qu'elle lui facilite la vie, qu'elle soit source de progrès tant sur le plan physique que moral. Mais à partir du moment où est posé la visée d'une amélioration physique de l'être humain, se trouve introduit la question d'une transformation de l'être humain par la technique.

Néanmoins, si la technique a d'abord pour première fonction de nous faciliter la vie, commence à se poser la question des conséquences d'une telle aspiration à la facilité. La contre-partie ne se trouve-t-elle pas dans une perte de savoir-faire, dans des capacités humaines qui ne sont plus développées ? D'une certaine manière, plus la technique devient performante et « intelligente », plus est-ce que cela ne signifie pas a contrario que nous n'avons plus besoin de l'être ? Est-ce que plus notre existence se trouve facilité par la technique, plus nous en devenons dépendant ? La dépendance à la technique, la perte d'autonomie, et donc de liberté, serait alors la contre-partie du désir de facilité, de confort.

Certains philosophes vont encore plus loin, comme Jacques Ellul, en s'interrogeant sur l'autonomie que possède la technique moderne. Est-ce que nous n'avons pas perdu la maîtrise du progrès technique ? La technique moderne serait alors devenue un système à l’intérieur duquel se déploie l'intégralité de notre existence et qui aurait son propre principe interne de développement auquel nous n'aurions plus d'autres perspectives que d'être soumis ?

Ainsi, en favorisant le développement des nouvelles technologies au sein du système éducatif est ce que nous ne favorisons pas une colonisation de plus en plus précoce de l'existence humaine par les techniques modernes sans prendre en compte les conséquences anthropologiques qu'impliquent la dépendance technique ?

 

Texte 1 :

Cela vaut pour tous les domaines. A la génération précédente, un professeur de sciences à la Sorbonne transmettait presque 70% de ce qu’il avait appris sur les mêmes bancs vingt ou trente ans plus tôt. Elèves et enseignants vivaient dans le même monde. Aujourd’hui, 80% de ce qu’a appris ce professeur est obsolète. Et même pour les 20% qui restent, le professeur n’est plus indispensable, car on peut tout savoir sans sortir de chez soi ! Pour ma part, je trouve cela miraculeux. Quand j’ai un vers latin dans la tête, je tape quelques mots et tout arrive : le poème, l’Enéide, le livre IV… Imaginez le temps qu’il faudrait pour retrouver tout cela dans les livres ! Je ne mets plus les pieds en bibliothèque. L’université vit une crise terrible, car le savoir, accessible partout et immédiatement, n’a plus le même statut. Et donc les relations entre élèves et enseignants ont changé. Mais personnellement, cela ne m’inquiète pas. Car j’ai compris avec le temps, en quarante ans d’enseignement, qu’on ne transmet pas quelque chose, mais soi.

Entretien avec Serres Michel, « Petite poucette, la génération mutante », Libération, 3 septembre 2011.

 

Remarques : Le philosophe Michel Serres développe un discours technophile faisant l'éloge du changement et de l'innovation. Son ouvrage, Petite poucette (2012) tire son nom de la génération des digitals natives : « je [la] baptise Petite Poucette, pour sa capacité à envoyer des SMS avec son pouce ».

Michel Serres considère la période contemporaine comme marquée par une accélération positive des transformations du savoir et des technologies. En cela, il s'oppose à d'autres auteurs actuels, qui comme Paul Virilio ou Hartmut Rosa, critiquent l’accélération contemporaine du temps. Loin pour ces derniers de libérer l'être humain des contraintes temporelles, elles le soumettent à un rythme effréné dont il n'est pas le maître, mais qui est au service des impératifs de production de l'économie capitaliste : « Time is money ».

Au contraire, pour le philosophe Michel Serres, l’obsolescence rapide des connaissances conduit les êtres humains à ne plus centrer leurs apprentissages sur des activités de mémorisation de bas niveau. Les nouvelles technologies libèrent davantage de temps pour développer des fonctions intellectuelles de haut niveau. Cette révolution dans les rapports à l'apprentissage n'est pas la première. Avec l'invention de l'imprimerie, c'est la civilisation de la mémoire orale qui a été remise en question. Le livre a permis une transmission plus fiable des savoirs tout en libérant un temps pour une réflexion qui était autrefois empêchée par l'apprentissage par cœur.

 

 

Texte 2 : Dans un monde comme celui-là se posent mille ques­tions, dont celle des menaces contre ce que l’on appelle la deep attention, l’attention formée à l’école, l’attention pro­fon­dément attentive, celle de l’intellect qui réfléchit, qui analyse. Car les formes de cap­tation de l’attention, qui se font aussi par des moyens infor­ma­tionnels mis en œuvre par les médias, entrent en conflit avec la for­mation de l’attention qu’assurent l’école et, plus géné­ra­lement, les éduca­teurs. Tout cela se fait avec les tech­no­logies des médias qui sont aussi celles que l’on met en œuvre désormais en milieux scolaires.

Or, je considère que la pre­mière de ces mné­mo­tech­no­logies est l’écriture : celle-ci constitue la techno-logie de base. Lorsque le pré­sen­tateur du JT énonce l’actualité et lit le prompteur, il y a de l’écriture. J’aime rap­peler que la phi­lo­sophie est née d’un conflit de tech­niques de com­mu­ni­cation : la phi­lo­sophie est née d’un conflit avec les sophistes qui més­usaient de l’écriture. La phi­lo­sophie est née de la cri­tique de ce que Platon appelle un phar­makon, un remède qui peut être aussi un poison. Platon voulait redresser ces sophistes en mettant au point une autre pra­tique du savoir qui est la phi­lo­sophie – et qui passe bien entendu elle aussi par l’écriture, mais vue comme un remède. Cependant, Platon ne thé­matise jamais sa pra­tique de l’écriture.

Entretien avec Bernard Stiegler, « Sur la culture informationnelle », Médiadoc, n°2, 2009.



Remarques : LephilosopheBernard Stiegler rejoint Michel Serres dans le présupposé que les nouvelles technologies de l'information et de la communication, issues de l'ère du numérique, sont en train de produire un bouleversement cognitif de grande ampleur. Une partie de son discours est orienté vers le fait que les institutions publiques doivent prendre la mesure de cette transformation et s'y adapter. Néanmoins, en même temps que ce discours qui peut sembler technophile, Bernard Stiegler développe également un discours plus méfiant portant sur l'impact des médias et des écrans sur les capacités d'attention des élèves. L'école et les médias commerciaux entrent en concurrence pour la captation de l'attention de l'élève. Mais alors que l'enseignement doit viser à capter une attention en vue de développer les capacités de réflexion critique des élèves, les médias analogiques au contraire s'adressent aux dimensions les plus archaïques du psychisme humain (comme le montre l'exemple de la télé-réalité) à des fins économiques.

 

Focus : L'impact des nouvelles technologies sur le développement intellectuel des enfants

 

L'enfant et les écrans, avis de l'académie des sciences (2013):

http://www.academie-sciences.fr/activite/rapport/avis0113.pdf

 

Documentaire :

 

Le temps de cerveau disponible (avec des interventions de Bernard Stiegler) :

https://www.youtube.com/watch?v=-BZzirTcF6w

 

 

 

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Animé par Irène Pereira

 

 

 

Professeur des Universités.

Philosophie et éthique

Sciences de l'éducation.